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« Projet Orloff », saison 2, sur France Culture : une plongée dans l’univers impitoyable des espions en pleine guerre froide

FRANCE CULTURE – À LA DEMANDE – PODCAST
Après Extrêmement fort et incroyablement près, signé Cédric Aussir, et Alice et Hadrien, mis en ondes par Sabine Zovighian, voici, dans la proposition des podcasts de France Culture, la saison 2 de Projet Orloff, série d’espionnage réalisée par Baptiste Guiton. Signalons d’emblée qu’il est possible de l’entendre sans avoir écouté la saison 1, même si, comme nous l’a confié Tanguy Blum (l’un des trois scénaristes, aux côtés de Christian Brugerolle et Antoine Piombino), Projet Orloff sera une trilogie − la saison 3 est en cours d’écriture.
« Cela faisait un moment que nous voulions écrire une série d’espionnage, un genre intéressant en termes de dramaturgie. La loyauté, l’intégrité sont des notions mouvantes qui questionnent l’identité », explique ce jeune quadra qui a grandi à Radio France (France Culture, France Inter, Le Mouv’). « A qui on est fidèle quand on espionne ?, se demande-t-il. A une certaine idée du bien ? A un pays ? A un service ? Alors que nous sommes nés dans les années 1980, il nous a paru amusant de situer la série dans ce monde finissant : le crépuscule de la guerre froide et des grandes idéologies. »
Dès lors, ils regardent reportages et documentaires, lisent et « bouffent de l’archive ». Pour autant − et même si tout ce que l’on entend est vrai −, le podcast Projet Orloff n’est pas une dissertation géopolitique pour élèves de Sciences Po pressés. Mais plutôt une fiction d’une riche complexité, avec des personnages auxquels on s’attache quel que soit leur degré de sympathie. Parmi eux : Jeanne Evans (Zita Hanrot), pièce maîtresse de l’intrigue, femme dans un monde d’espions masculins ; le Formateur (Cédric Kahn) ; la Femme à la cigarette (Anne Alvaro).
Jeanne − personnage autour duquel a été écrite la trilogie − part en mission d’infiltration pour la DGSE de l’autre côté du rideau de fer. Le KGB est peu aimable. La CIA nous prend pour des truffes. Chacun défend ses propres intérêts. Ceux de l’Elysée n’étant pas les mêmes que ceux des services extérieurs français, notamment quand, en 1985, le Hezbollah, dont l’un des objectifs est la destruction d’Israël, enlève deux diplomates français, Marcel Carton (1923-2014) et Marcel Fontaine (1942-1997), puis deux journalistes, Jean-Paul Kauffmann et Michel Seurat (mort en détention en 1986), et multiplie les attentats meurtriers, notamment à Paris en 1985 et en 1986.
Des mondes et des visions s’affrontent, et tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins − chantage, pression, manipulation, menace, mensonge. Il est question de raison d’Etat, mais d’hommes et de femmes aussi. Tous devront accepter de perdre quelque chose. Le rythme, la qualité d’écriture et d’interprétation font que l’on ne peut décrocher de cette série. Et ce, sans le support des images. Depuis Le Bureau des légendes, la série d’Eric Rochant pour Canal+, on n’avait rien entendu de mieux.
Pour atteindre ce niveau, le réalisateur, issu du théâtre, a d’abord multiplié lectures à la table et italiennes pour approcher au plus juste ce qui, dans un climat suspicieux, se joue entre les personnages. Si les deux premiers épisodes jouent parfaitement leur rôle d’exposition (intrigue, personnages), la série gagne en intensité et en intelligence.
A l’épisode 6, simples auditeurs que nous sommes, voilà que nous nous surprenons à refaire le match de 1986 à Roland-Garros, entre le Suédois Mats Wilander et le Russe Andrei Chesnokov − soit, l’Ouest et l’Est − dans une scène appelée à devenir culte ou, du moins, à servir de cas d’école pour celles et ceux qui voudraient écrire pour la radio. Enfin, l’épisode 7 est sans doute le plus intéressant d’un point de vue psychologique.
La série se double d’une réflexion sur la filiation et la trahison. Elle offre de sublimes rôles féminins à Zita Hanrot, Anne Alvaro, Julie Pouillon. A peine la saison 2 terminée que nous attendons déjà la suite.
Projet Orloff, saison 2, podcast écrit par Tanguy Blum, Christian Brugerolle et Antoine Piombino, réalisé par Baptiste Guiton (Fr., 2024, 8 × 28 min). Disponible à la demande sur France Culture et sur toutes les plateformes d’écoute habituelles.
Emilie Grangeray
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